Bruit électrochimique

Contacts : François Huet

La technique du bruit électrochimique permet de prendre en compte le comportement aléatoire des interfaces électrochimiques.

Dans cette approche, toutes les grandeurs caractérisant l'état d'un système métal-électrolyte sont des grandeurs fluctuantes :

  • potentiel de l'électrode
  • concentrations des espèces réactives
  • température de l'interface
  • surface active de l'électrode
  • vitesse de l'électrolyte...

Ces fluctuations aléatoires provoquent des fluctuations des grandeurs observables par l'utilisateur que l'on appelle couramment bruit électrochimique. (bruit en courant pour une interface polarisée à potentiel constant, bruit en potentiel pour une interface polarisée à courant constant)

 Les systèmes pour lesquels les mesures de bruit sont particulièrement informatives sont ceux où les événements élémentaires à l'origine du bruit se situent à une échelle semi-macroscopique et mettent souvent en jeu une phase dispersée (gazeuse, liquide ou solide) dans l'électrolyte. Seules les mesures de bruit permettent de caractériser ces événements élémentaires :

  •  croissance et dégagement d'une bulle sur une électrode,
  •  apparition et repassivation d'une piqûre en corrosion localisée,
  •  contacts particule-particule ou particule-électrode dans un réacteur à lit de particules,
  •  tourbillon en écoulement hydrodynamique turbulent...

sur le plan cinétique car les techniques déterministes en cinétique électrochimique (courbe courant-tension, impédance électrochimique) donnent des informations moyennées dans le temps et sur la surface de l'électrode.

Afin de pouvoir remonter aux différentes grandeurs physiques fluctuantes (surface active, concentrations...), une nouvelle technique a été mise au point au laboratoire. Elle consiste à mesurer simultanément le bruit électrochimique (en potentiel ou courant) et les fluctuations de la résistance d'électrolyte (impédance haute fréquence de l'électrode) ΔRe(t) qui traduit, en termes électriques, la distribution des lignes de courant primaire autour de l'électrode, et ne dépend donc pas des réactions électrochimiques interfaciales. Ainsi, pour une polarisation à courant I constant, le bruit en potentiel  ΔV(t) s'écrit :

       ΔV(t) = ΔE(t) + ΔRe(t) I

où ΔE(t) représente les fluctuations de potentiel faradique de l'électrode.

L'analyse du bruit électrochimique peut s'effectuer dans le domaine temps à partir des enregistrements temporels des fluctuations (voir figure 1), et dans le domaine fréquence à partir de la densité spectrale de puissance (DSP ou spectre, voir figure 2) des fluctuations qui représente la répartition en fréquence de la puissance contenue dans les signaux aléatoires observés.

A titre d'exemple :

  1. Dans l'étude de dégagement gazeux sur électrode, les fluctuations ΔRe ne dépendent que des variations de surface active dues à l'écrantage des bulles et leur analyse permet d'estimer la taille moyenne des bulles, sa distribution, la fréquence de libération des bulles... alors que les variations de potentiel faradique dépendent à la fois des variations de surface et des variations de concentration en gaz dissous.

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    Figure 1 : Enregistrements temporels des fluctuations de potentiel et de résistance d'électrolyte générées par le dégagement de bulles d'hydrogène sur une électrode à disque (diamètre = 5 mm) de fer au potentiel de corrosion (H2SO4 1M).

  2. Pour un électrolyseur à particules métalliques dans l'électrolyte, l'analyse du bruit permet d'une part d'obtenir des informations sur la dynamique de circulation des particules près de l'électrode (nombre moyen de passages par seconde, vitesse, durée d'approche, durée de séjour, trajectoire...), et d'autre part des renseignements liés au transfert de charge sur les particules touchant l'électrode (pourcentage de ces particules, charge moyenne échangée, constante de temps de recharge de l'électrode). Pour un mélange huile-eau, l'analyse du bruit renseigne sur la composition du mélange près de l'électrode et sur le type d'écoulement hydrodynamique.

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    Figure 2 : DSP des fluctuations de résistance d'électrolyte mesurée pour une électrode d'acier au potentiel de corrosion dans un mélange d'une solution de chlorure de sodium (3 % en poids) et d'huile de paraffine pour différentes proportions en volume d'huile.

Depuis l'apparition il y a quelques années d'une configuration de cellule à 2 électrodes de travail connectées par un ampèremètre à résistance interne nulle (voir schéma sur la figure 3), les mesures de bruit ont pris un essor important dans le domaine de la corrosion car elles permettent de mesurer simultanément les fluctuations de potentiel et de courant générées par les phénomènes de corrosion au potentiel libre, et d'en déduire une résistance, dite résistance de bruit, liée à la vitesse de corrosion des métaux, et de suivre cette vitesse au cours du temps à l'aide de dispositifs de mesure bon marché. L'analyse en fréquence des signaux permet en outre d'atteindre le module de l'impédance des électrodes, ceci sans signal d'excitation externe, le bruit propre du système servant de signal d'excitation.

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Figure 3 : Dispositif expérimental pour les mesures simultanées des fluctuations de potentiel et de courant au potentiel de corrosion (Gv et GZRA: gains de l'amplificateur de tension et de l'ampèremètre à résistance interne nulle, FPB: filtre passe-bas).

Référence : F. Huet, “The electrochemical noise technique”, dans “Analytical Methods in Corrosion Science and Engineering”, éditeurs P. Marcus et F.Mansfeld, Taylor & Francis, CRC Press, Series : Corrosion Technology, Volume 22, p. 507-570 (2006).